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Dessiner en marchant
Sylvie Deparis
La pratique de « dessiner en marchant » s’insère dans la recherche qui fonde toute ma démarche, celle de la perception d’une conscience unitaire qui anime l'univers entier, et dont chaque conscience particularisée n'est qu'une manifestation.
C’est une pratique pour cultiver une attention au réel, c’est-à-dire à la mutation, pour entrer corporellement dans la sensation de l’écoulement et appréhender dans la forme la force de structuration, son pouvoir de formation, d’individuation. Pour ressentir cette « permanente impermanence », à l’opposé du rapport frontal et de réification générant la crise du sensible de notre relation au monde.
Comme dans l’ensemble de mes dessins mais par une gestuelle différente, il est question de réceptivité, de souffle, et d’une forme d’« écologie de l’attention », qui tend à abolir l’illusion de la séparation.
Le corps, la résonance
C’est par le corps qu’il est possible de se mettre ainsi en « résonance » avec un monde perçu comme réalité vivante, polyphonique, qui entre en vibration avec soi-même.
Relation non pas entre un soi-sujet et un monde-objet constituant un vis-à-vis, mais danse de deux polarités, et co-naissance.
Le lent déplacement de la marche, celui du regard qui suit les lignes extérieures et celui du geste qui trace simultanément se combinent et se nourrissent mutuellement. La synergie entre ces différents mouvements, qui se chevauchent et s’entremêlent dans un recouvrement de temporalités, fait advenir un temps vécu, temps-devenir.
Le cheminement n’est ni établi, ni aléatoire. Comme les plantes radicantes (telles le lierre) qui produisent leurs racines au fil de leur avancée, il s’élabore en suivant le regard.
Entre force de gravité et élévation, le mouvement des pas éprouve la souplesse des appuis, pieds, chevilles, genoux, hanches, en lien avec la consistance du sol, son relief. La marche permet une démultiplication du phénomène perceptif dans ses plus infimes fluctuations. Les sensations intègrent l’espace autour du corps, son interface avec la peau, les déplacements de l’air, sa température, le milieu olfactif et sonore.
Cet état d’accord vibratoire requiert d’en créer les conditions particulières, puis de le laisser advenir : « s’accorder », ajuster sa fréquence, se relier dans un rapport qui ne soit ni d’appropriation ni d’engouffrement mais « faire corps avec », développer une rythmique commune qui constitue le dynamisme structurant de la perception.
Éloge de la lenteur, forme de méditation en mouvement, c’est un acquiescement à l’infini des potentialités, qui met aussi en jeu la transformation de soi : quelque chose nous « appelle », y être vulnérable, en être renouvelé.
La résonance comme mode de relation n’élude pas la diversité et la réalité brute des choses, ni l’altérité en tant que véritable Autre dans sa singularité, mais les inclut dans une totalité.
La respiration, l’attention, le regard et le geste
Dans le regard ni distance ni objectivité, ni projet défini, mais forme d’errance guidée par une attention flottante qui laisse advenir la co-émergence de ce qui se présente et de la perception que l’on en a.
Respirer, concentrer et élargir par un mouvement cyclique et continu d’inspir-expir.
Rien ne prédispose le regard, a priori, à se poser sur une ligne plutôt qu’une autre, si ce n’est ce qui semble s’avancer, fait signe dans l’instant, puis le capte et le déporte vers une autre ligne qui se substitue à la précédente.
Le sujet se déroule, son emplacement change constamment. La direction de la tête suit le regard et la rotation du corps l’accompagne, tantôt s’attarde, à reculons, tantôt coïncide avec le sens de la marche.
Tous les mouvements infléchissent le rythme de celle-ci et créent un déplacement en méandres, ancré dans le regard et dont le point d’accroche se modifie en permanence.
La main suit les trajets des yeux, ressent où se poser et enregistre simultanément sans anticipation ni retard. Chaque ligne dessinée transcrit une rencontre entre une extériorité et une intériorité. Les lignes se tracent, se répondent, s’organisent en constellations agencées sans regarder le dessin et sans intervention de quelque volonté : se fier à l’incertain, à l’indéfini, au fragile, à ce qui apparaît et disparaît.
L’espace se perçoit dans sa dimension englobante, mouvante, dans un rapport d’enveloppement et d’adhésion qui n’épuise pourtant jamais sa part d’énigme.
Le dessin final contient une somme de gestes inscrits dans la continuité d’une même trame, mêlés dans un enchevêtrement de vécus. Il est une sorte de condensation de cette expérience corporelle, un agencement énergétique mettant en jeu la notion de champ, et celle de flux.
Une façon d'habiter l'instant présent qui tente de réenchanter notre relation au monde, et dont le dessin est la trace.
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Dessiner en marchant
Sylvie Deparis
La pratique de « dessiner en marchant » s’insère dans la recherche qui fonde toute ma démarche, celle de la perception d’une conscience unitaire qui anime l'univers entier, et dont chaque conscience particularisée n'est qu'une manifestation.
C’est une pratique pour cultiver une attention au réel, c’est-à-dire à la mutation, pour entrer corporellement dans la sensation de l’écoulement et appréhender dans la forme la force de structuration, son pouvoir de formation, d’individuation. Pour ressentir cette « permanente impermanence », à l’opposé du rapport frontal et de réification générant la crise du sensible de notre relation au monde.
Comme dans l’ensemble de mes dessins mais par une gestuelle différente, il est question de réceptivité, de souffle, et d’une forme d’« écologie de l’attention », qui tend à abolir l’illusion de la séparation.
Le corps, la résonance
C’est par le corps qu’il est possible de se mettre ainsi en « résonance » avec un monde perçu comme réalité vivante, polyphonique, qui entre en vibration avec soi-même.
Relation non pas entre un soi-sujet et un monde-objet constituant un vis-à-vis, mais danse de deux polarités, et co-naissance.
Le lent déplacement de la marche, celui du regard qui suit les lignes extérieures et celui du geste qui trace simultanément se combinent et se nourrissent mutuellement. La synergie entre ces différents mouvements, qui se chevauchent et s’entremêlent dans un recouvrement de temporalités, fait advenir un temps vécu, temps-devenir.
Le cheminement n’est ni établi, ni aléatoire. Comme les plantes radicantes (telles le lierre) qui produisent leurs racines au fil de leur avancée, il s’élabore en suivant le regard.
Entre force de gravité et élévation, le mouvement des pas éprouve la souplesse des appuis, pieds, chevilles, genoux, hanches, en lien avec la consistance du sol, son relief. La marche permet une démultiplication du phénomène perceptif dans ses plus infimes fluctuations. Les sensations intègrent l’espace autour du corps, son interface avec la peau, les déplacements de l’air, sa température, le milieu olfactif et sonore.
Cet état d’accord vibratoire requiert d’en créer les conditions particulières, puis de le laisser advenir : « s’accorder », ajuster sa fréquence, se relier dans un rapport qui ne soit ni d’appropriation ni d’engouffrement mais « faire corps avec », développer une rythmique commune qui constitue le dynamisme structurant de la perception.
Éloge de la lenteur, forme de méditation en mouvement, c’est un acquiescement à l’infini des potentialités, qui met aussi en jeu la transformation de soi : quelque chose nous « appelle », y être vulnérable, en être renouvelé.
La résonance comme mode de relation n’élude pas la diversité et la réalité brute des choses, ni l’altérité en tant que véritable Autre dans sa singularité, mais les inclut dans une totalité.
La respiration, l’attention, le regard et le geste
Dans le regard ni distance ni objectivité, ni projet défini, mais forme d’errance guidée par une attention flottante qui laisse advenir la co-émergence de ce qui se présente et de la perception que l’on en a.
Respirer, concentrer et élargir par un mouvement cyclique et continu d’inspir-expir.
Rien ne prédispose le regard, a priori, à se poser sur une ligne plutôt qu’une autre, si ce n’est ce qui semble s’avancer, fait signe dans l’instant, puis le capte et le déporte vers une autre ligne qui se substitue à la précédente.
Le sujet se déroule, son emplacement change constamment. La direction de la tête suit le regard et la rotation du corps l’accompagne, tantôt s’attarde, à reculons, tantôt coïncide avec le sens de la marche.
Tous les mouvements infléchissent le rythme de celle-ci et créent un déplacement en méandres, ancré dans le regard et dont le point d’accroche se modifie en permanence.
La main suit les trajets des yeux, ressent où se poser et enregistre simultanément sans anticipation ni retard. Chaque ligne dessinée transcrit une rencontre entre une extériorité et une intériorité. Les lignes se tracent, se répondent, s’organisent en constellations agencées sans regarder le dessin et sans intervention de quelque volonté : se fier à l’incertain, à l’indéfini, au fragile, à ce qui apparaît et disparaît.
L’espace se perçoit dans sa dimension englobante, mouvante, dans un rapport d’enveloppement et d’adhésion qui n’épuise pourtant jamais sa part d’énigme.
Le dessin final contient une somme de gestes inscrits dans la continuité d’une même trame, mêlés dans un enchevêtrement de vécus. Il est une sorte de condensation de cette expérience corporelle, un agencement énergétique mettant en jeu la notion de champ, et celle de flux.
Une façon d'habiter l'instant présent qui tente de réenchanter notre relation au monde, et dont le dessin est la trace.
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